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Mono no aware, la beauté de l'éphémère
by Xehanort
Alors qu'en Occident, le principe de l'éternité et de la durabilité baigne dans notre quotidien. Il en est tout autre dans la pensée orientale où le contraste entre l'éternité et l'éphémère est beaucoup plus important. Les textes chinois notamment ne sont pas en reste pour vanter la non-durabilité des choses, mais plutôt leurs changements. Au Japon, l'expression "Mono no aware", qui signifie "le pathos des choses", représente un concept esthétique et spirituel japonais qui régit leur société de bien nombreuses façons.
L'un des principaux composants de ce concept relève de ce qui est appelé en japonais : << l'Ukiyo >>, c'est-à-dire le monde flottant. Originaire de la tradition bouddhiste qui vise à enseigner l'évanescence et le changement permanent des plaisirs terrestres. Le terme flottant peut être difficile à comprendre, en d'autres mots, nous pourrions dire que rien n'est fondamental et que le monde est perpétuellement en train d'évoluer. Il faudrait plusieurs paragraphes pour analyser et expliquer plus profondément cette notion, sous la nouvelle forme d'un article culturel. Ce texte se limitera à l'évocation des estampes << Ukiyo-e >>, qui signifie littéralement << image du monde flottant >>. Une capture des plaisirs terrestres et de la beauté multiple d'existences temporaires ou incertaines. Il est vrai que le Japon est continuellement sous la menace de catastrophes naturelles, annonciatrices de chaos et destructrices de l'éphémère matérialité. Cela nous amène à une certaine utopie des japonais à l'immatérialité de leur monde.
(Utagawa Hiroshige, Cloche du soir au temple Mii, image extraite du site ukiyo-e.org)
Cela se voit notamment dans la conception de l'architecture japonaise pour laquelle l'éphémère est prédominant. L'idée étant de pouvoir rebâtir plus facilement plutôt que de réparer. Ainsi, les matériaux utilisés sont majoritairement souples et naturels. Le matériau de base étant le bois. Il faut y voir une différence de culture. Alors que les occidentaux construisent des maisons de façon durable (pour différentes raisons, leur valeur notamment), les japonais privilégient la destruction puis reconstruction pour les générations futures. En cas de tremblement de terre, celles-ci sont reconstruites entièrement et de la même manière. Nous pouvons dire qu'une destruction au cours d'une tragédie est probablement leur destinée. Mais d'ici là, sous couvert d'une fréquence de tragédies supérieures à plusieurs dizaines d'années, les arbres auront repoussé et le cycle suivra tout simplement son cours. A Tôkyô, l'âge moyen d'une maison ne dépasserait même pas 15 ans. Le papier est également très utilisé, qui au-delà de sa texture est apprécié pour sa fragilité. Si nous prenons l'exemple de la porte coulissante qui se dit << Shôji >> en japonais, de bois et de papier, c'est encore une fois une invitation au monde flottant. En quelque sorte, la maison est amovible : que ce soient les "futon" qui apparaissent la nuit puis retournent dans les armoires ou bien l'ouverture des murs mobiles qui permettent d'ouvrir l'intérieur à la nature environnante, qui elle représente l'extérieur éphémère et flottant.
(maison japonaise ouverte sur la nature, photo extraite d'une vidéo youtube)
Il n'y a pas que le bois qui est périssable. La consommation elle-même du poisson cru est périssable. Mais le cycle naturel fait la loi et les japonais sont à la merci de cette loi. Ce sont donc deux aspects considérables de la société japonaise, l'architecture dans laquelle ils vivent, la consommation qui les nourrit, qui sont représentatifs de ce concept, parmi d'autres !
Revenons-en à cet esthétisme dans l'éphémère. L'exemple le plus commun dans la période contemporaine se révèle être la floraison des cerisiers. La << Sakura >> est un symbole de la beauté éphémère au Japon. Plus généralement, ce sont toutes les saisons, à travers leur cycle, qui fait prendre conscience de l'éphémère. Ce n'est pas étonnant de constater que c'est au coeur de la poésie japonaise. Et pas seulement d'ailleurs. Chaque art est forcément influencé de près ou de loin par cette beauté esthétique et spirituelle. Ainsi, les japonais admirent les cerisiers en fleur depuis très longtemps. Cela a abouti à un phénomène qui s'étend dans tout le Japon. Lors de la période du << Hanami >>, la floraison des fleurs est sur toutes les lèvres, a ses propres bulletins météo et sa beauté en ébahit plus d'un. Mais bien que l'on puisse penser que la beauté suprême se retrouve à l'ultime floraison des cerisiers, il en est tout autre. C'est seulement à la chute telle une tempête de neige des pétales que le sens de l'esthétisme éphémère prend tout son sens. Admirer la beauté de l'éphémère les rapproche de leur utopie, à savoir l'immatériel.
(cerisier en fleur, photo extraite de l'article des cerisiers en fleur)
Pour aller encore plus loin, le << Seppuku >> (suicide rituel) ou le << Shinjuu >> (suicide collectif) peuvent être vu parfois comme des rituels esthétiques dans lesquels la mort relève davantage de l'esthétisme, le principe de base étant de ne pas accorder trop d'importance à la vie, les questions existentielles n'apportant rien de plus que de l'anxiété.
Le matériel ne procure que l'anxiété relative à la future perte, au contraire de l'immatériel qui ne procure aucune négativité compromettante à son bien-être. S'attacher au matériel est contraire au monde flottant qui domine notre monde. Admirer la beauté de l'éphémère permet de s'en détacher et d'atteindre les frontières de l'immatériel. Une beauté unique. Le Japon est en constante évolution et possède un charme indéniable, c'est un monde flottant dans lequel nous nous sommes plongés, et ce, pour toujours n'est-ce-pas ?
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