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Cérémonie du thé
by Raphael
Ce qu’en français nous appelons « cérémonie du thé » se nomme tout simplement chakai, ou « réunion autour du thé » en japonais. Si ces réunions ne constituent pas des cérémonies dans le sens religieux du terme, elles sont néanmoins profondément empruntes de spiritualité. L’art japonais du thé met avant tout l’accent sur le lien qui unit ceux qui y prennent part. L’hôte prépare avec grand soin tout ce dont il aura besoin pour accueillir chaleureusement ses invités, et ceux-ci se comportent entre eux et envers leur hôte avec la plus grande considération. Ce moment simple, et cependant très profond, représente bien les idéaux du bouddhisme Zen que sont l’harmonie, le respect, la pureté et le calme.
La manière dont la cérémonie du thé se déroule varie en fonction du lieu, de la saison et des invités. Elle débute généralement vers midi, mais en été, où le temps peut être très chaud, la cérémonie débute parfois dès six heures du matin. Aujourd’hui, on voit apparaître des cérémonies du soir, destinées aux personnes qui travaillent. Lors des cérémonies les plus formelles, les invités traversent d’abord un jardin rustique où on trouve peu de fleurs aux couleurs vives. Ce jardin est destiné à guider les invités vers l’état d’esprit apaisé qui convient à la cérémonie du thé. Les invités s’asseyent quelques instants sur un banc pour admirer la vue, puis s’approchent du tsukubai, un bassin de pierre auquel ils vont puiser à la louche une eau destinée à purifier leurs mains et leur bouche, poursuivant ainsi leur préparation pour la cérémonie. Pour finir, les invités arrivent au nijiriguchi, une entrée étroite qu’il faut souvent se baisser pour franchir. L’hôte et ses invités entrent dans la pièce qui a été préparée avec soin et admirent l’espace sobre et élégant dans lequel ils s’apprêtent à passer ensemble un moment important.
L’hôte a soigneusement choisi les objets entourant la cérémonie, pour qu’ils aient un lien avec ce qui a motivé la réunion, avec la saison, avec le lieu et les invités eux-mêmes. On sert tout d’abord des confiseries, elles aussi de saison. Leur saveur délicatement sucrée offre un contraste qui accentue la légère amertume du thé. L’hôte prépare ensuite le thé et le sert avec des gestes simples et gracieux que l’on appelle temae. Ces mouvements délicats donnent aux invités le sentiment d’être chez eux et de faire l’objet d’une grande attention de la part de leur hôte. Ce dernier verse la poudre de thé dans le bol à thé à l’aide d’une cuillère, ajoute l’eau chaude à la louche, puis mélange le tout avec un fouet en bambou jusqu’à obtenir une mousse légère. Dans la version formelle de la cérémonie du thé, on utilise un bol unique. Une fois le thé présenté aux invités, ces derniers doivent eux aussi suivre un certain protocole. Avant de boire, chaque invité tourne légèrement le bol afin de ne pas poser les lèvres sur la partie avant, qui est orientée vers l’hôte. Par égard pour l’invité qui boit après lui, il essuie ensuite le bord du bol avec un morceau d’étoffe. Ces témoignages de considération illustrent le respect mutuel et les sentiments chaleureux que les invités se portent, qui constituent un aspect crucial de la cérémonie du thé. Il est également très important que la cérémonie du thé reflète la saison en cours. Habituellement, on accroche dans l’alcôve du tokonoma une peinture ou une citation qui évoque la saison, et on y trouve souvent des fleurs de saison sobrement arrangées. Selon les périodes de l’année, les cérémonies du thé diffèrent. En janvier se déroule dans les écoles du thé la cérémonie hatsugama, à l’occasion de laquelle les étudiants et les personnes de leur connaissance partagent le thé pour fêter la nouvelle année dans une atmosphère joyeuse et de bon augure. Au tout début du printemps, au temple Kitano Tenmangu de Kyoto, les geisha servent le thé tandis qu’on offre aux dieux des fleurs de ume fraîchement écloses. En automne, quand la lune est la plus belle, des cérémonies se déroulent en extérieur. Dans les jardins Hamarikyu, les invités écoutent de l’antique musique de cour tout en savourant leur thé, tandis qu’au temple Saidaiji de Nara, on prépare le thé dans des bols immenses, qui servait à l’origine pour les offrandes à Bouddha, et qui aujourd’hui circulent parmi les invités.
Le thé vert que l’on boit durant les cérémonies s’appelle matcha. Le prêtre Eisai le rapporta de Chine au XIIe siècle. Au XVIe siècle, les riches marchands du Kansai rivalisaient d’ostentation lors de cérémonies où ils faisaient étalage de leur opulence. Des seigneurs de guerre comme Toyotomi Hideyoshi aimaient eux aussi faire montre de leur pouvoir en servant le thé dans des lieux imposants et entourés d’objets impressionnants. Hideyoshi lui-même se fit construire une salle en or massif. À l’époque, les pourparlers avaient souvent lieu au moment de la cérémonie du thé, et une telle pompe pouvait impressionner les rivaux car elle représentait l’influence, le pouvoir et le prestige.
À la même période, le célèbre maître de cérémonie du thé Sen no Rikyu s’élevait contre de tels excès. Sa philosophie mettait l’accent sur l’importance d’un lien fort entre l’hôte et ses invités. Selon les idéaux de Sen no Rikyu, la relation entre les individus ne devait pas dépendre de leur rang ou de leur fonction. Les invités devaient se retrouver sur un pied d’égalité, dans un espace clos censé accentuer le sentiment de proximité. Le rapprochement physique, tout comme le cadre des pratiques ritualisées, était destiné à abolir la distance entre les gens à un niveau spirituel. Jusqu’au partage du bol, qui était un moyen symbolique de faire se rencontrer les lèvres des invités, et ainsi d’insister sur le fait que la cérémonie scellait des relations proches et chaleureuses. Sen no Rikyu conseillait de « veiller à la simplicité du thé et la sincérité de l’hospitalité », une philosophie que l’on retrouve encore dans les cérémonies du thé actuelles.
Aujourd’hui, certaines écoles vont jusqu’à organiser des cérémonies du thé pour les enfants. Ces derniers préparent les confiseries et décorent eux-mêmes les bols, puis chacun d’entre eux invite un de ses parents ou grands-parents à participer à la cérémonie. L’enfant qui offre le thé à son parent exprime ainsi sa gratitude et son amour. Même à l’occasion des cérémonies les plus créatives et contemporaines, les principes de la cérémonie du thé restent identiques : un moment convivial où on exprime de la considération, et avant tout un moment précieux dont on profite en sachant qu’il s’agit d’un événement unique. Une cérémonie du thé ne se produit qu’une fois, et devient ainsi un souvenir inoubliable, que ce soit pour l’hôte ou pour ses invités.
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